Un avant-goût de l'apocalypse
Le 4 décembre 1896, un raz de marée d'une exceptionnelle ampleur frappa l'île de Sein.
Le 4 décembre 1896, un raz de marée d'une exceptionnelle ampleur frappa l'île de Sein. Coupée du reste du monde,
abandonnée à son triste sort, la communauté insulaire vécut là l'une des heures les plus angoissantes de son histoire.
La tempête s'était levée dans la soirée du 3 décembre, sans que personne n'y prête vraiment attention, tant
sont habituels, dans ces parages inhospitaliers, les rudes coups de vent de la fin d'automne. Toute la nuit, des éclairs
zébrèrent un ciel chargé, menaçant, et l'incessant fracas du tonnerre troubla le sommeil des dormeurs les plus insouciants.
A l'aube de ce terrible 4 décembre 1896, Pauline Ménou, ouvrant les volets de son auberge, resta interloquée devant le
spectacle qui s'offrait à ses yeux. La mer avait revêtu une extraordinaire couleur de plâtre, et un écran de brume jaune, tout
aussi inhabituel, barrait l'horizon.
Au même moment, le premier adjoint au maire, Mathieu Porsmoguer, qui passait dans la rue, lui lança : «Le baromètre est comme
fou. Il descend, descend... Je ne sais pas si nous serons en vie ce soir.»
A vrai dire, l'affolement de Mathieu Porsmoguer reposait sur des motifs sérieux. La conjonction catastrophique de signaux
inquiétants - le vent violent orienté ouest-sud-ouest, la marée de 98 - alarmait les esprits les plus sereins. Et dans quelque
recoin de cette mémoire insulaire volontiers superstitieuse survivait le cuisant souvenir des grands raz de marée de 1865 et
1879, survenus tous deux un 5 décembre.
«Un mur de houle cernait l'île»
Vers dix heures du matin survint le moment tant redouté. Le flux s'ébranla et, aussitôt, la mer devint énorme. «Un mur de houle cernait l'île, écrit Charles Le Goffic. On ne voyait que de l'écume giclant, fusant à des hauteurs prodigieuses et qui s'abattait comme une neige autour de l'île.» Longtemps, celle-ci résista pourtant à l'assaut furieux des vagues. Mais entre 14 et 15 heures, la tempête redoubla de violence, atteignant une force inconcevable. C'est en cet instant critique que se noua le drame. La digue de Beg-ar-Ralé, dont nul n'ignorait la fragilité, céda soudain en son centre, et la mer, s'engouffrant par la brèche ainsi formée, se jeta sur l'île. En quelques minutes, elle emporta tout sur son passage, renversant les clôtures, inondant les champs, dévalant en cascade à travers les rues, envahissant les maisons. D'heure en heure, la situation se dégradait, et ce fut bientôt la survie même de la communauté qui sembla menacée.
Un phare dans la tourmente
La tension retomba progressivement dans la première partie de la nuit. Le vent perdit quelque peu de sa vigueur et, surtout, avec le jusant, les flots consentirent enfin à desserrer leur étreinte sur l'île martyre. Au sortir de cette journée digne d'une fin du monde, les insulaires virent avec soulagement les phares de l'Atlantique s'allumer l'un après l'autre, et ces lueurs jaillissant dans les ténèbres les reliaient seules au reste de l'humanité. La Vieille, pourtant, resta sans vie de longues heures, tenant obstinément fermé son oeil vert. Au plus fort de la tempête, une lame avait défoncé deux glaces de la lanterne, et les flots avaient pénétré dans la tour, inondant l'escalier, les chambres et la soute aux vivres. Plusieurs heures durant, les gardiens oeuvrèrent d'arrache-pied, dans des conditions épouvantables, afin de remettre le phare en état de marche. Après bien des efforts, ils parvinrent à se hisser jusqu'à la lanterne. Faute de mieux, ils durent se résoudre à remplacer les glaces détruites par des matelas solidement arrimés. Vers six heures du matin, le phare de la Vieille s'alluma enfin, comme la réponse des hommes au défi des éléments.
Premier bilan : un lac d'aspect boueux
Ce n'est qu'à l'aube du 5 décembre que les insulaires prirent toute la mesure du désastre qu'ils avaient subi. Là où, hier encore, s'étendaient les terres labourables avait surgi un lac d'aspect boueux. Les maisons du Poul, lézardées pour la plupart, baignaient dans une eau saumâtre et sale. Si l'ouragan avait à peu près épargné la flottille mouillée dans le port, deux chaloupes gréées en sloop et six canots n'en étaaient pas moins perdus, emportés par les flots. Les digues, évidemment, avaient beaucoup souffert, notamment celle de Beg-ar-Ralé, rompue sur une longueur de 70 mètres. Il fallait parer au plus pressé. Mathieu Porsmoguer fit sonner le tocsin, rassembla toute la population valide et distribua les tâches.
Des champs incultivables pendant deux ou trois ans
D'abord, vider les maisons, puis assécher les terres cultivées. Le 9 décembre au soir, l'île avait enfin retrouvé un aspect plus acceptable. Néanmoins, les motifs d'inquiétude ne manquaient pas. Les opérations de drainage achevées, les terres labourables, imbibées de sel, avait pris une teinte blanche de mauvais augure. De l'avis général, les champs resteraient impropres à toute culture pendant au moins deux ou trois ans. A court terme, il y avait plus grave. La mer restait mauvaise, le vent violent, interdisant tout contact avec le continent. Sur l'île, faute d'approvisionnement, les vivres commençaient à manquer, et la famine menaçait.
La délivrance sept jours après
Le 11 décembre, pourtant, une accalmie sembla se dessiner, permettant au vapeur des Ponts et Chaussées, « Le Baliseur», de prendre la mer en direction du phare de la Vieille mais il ne put y accoster. Le lendemain, 12 décembre, «Le Hâleur», du port de Brest, parvint enfin à gagner la rade de Sein, avec à son bord 1.200 kilos de pain de munitions et de viande. Le blocus était enfin levé, au grand soulagement d'une population traumatisée par ces huit jours d'épreuve, dont l'angoissant souvenir, sur cette île pourtant fertile en drames divers, allait se transmettre de génération en génération.
«Un mur de houle cernait l'île»
Vers dix heures du matin survint le moment tant redouté. Le flux s'ébranla et, aussitôt, la mer devint énorme. «Un mur de houle cernait l'île, écrit Charles Le Goffic. On ne voyait que de l'écume giclant, fusant à des hauteurs prodigieuses et qui s'abattait comme une neige autour de l'île.» Longtemps, celle-ci résista pourtant à l'assaut furieux des vagues. Mais entre 14 et 15 heures, la tempête redoubla de violence, atteignant une force inconcevable. C'est en cet instant critique que se noua le drame. La digue de Beg-ar-Ralé, dont nul n'ignorait la fragilité, céda soudain en son centre, et la mer, s'engouffrant par la brèche ainsi formée, se jeta sur l'île. En quelques minutes, elle emporta tout sur son passage, renversant les clôtures, inondant les champs, dévalant en cascade à travers les rues, envahissant les maisons. D'heure en heure, la situation se dégradait, et ce fut bientôt la survie même de la communauté qui sembla menacée.
Un phare dans la tourmente
La tension retomba progressivement dans la première partie de la nuit. Le vent perdit quelque peu de sa vigueur et, surtout, avec le jusant, les flots consentirent enfin à desserrer leur étreinte sur l'île martyre. Au sortir de cette journée digne d'une fin du monde, les insulaires virent avec soulagement les phares de l'Atlantique s'allumer l'un après l'autre, et ces lueurs jaillissant dans les ténèbres les reliaient seules au reste de l'humanité. La Vieille, pourtant, resta sans vie de longues heures, tenant obstinément fermé son oeil vert. Au plus fort de la tempête, une lame avait défoncé deux glaces de la lanterne, et les flots avaient pénétré dans la tour, inondant l'escalier, les chambres et la soute aux vivres. Plusieurs heures durant, les gardiens oeuvrèrent d'arrache-pied, dans des conditions épouvantables, afin de remettre le phare en état de marche. Après bien des efforts, ils parvinrent à se hisser jusqu'à la lanterne. Faute de mieux, ils durent se résoudre à remplacer les glaces détruites par des matelas solidement arrimés. Vers six heures du matin, le phare de la Vieille s'alluma enfin, comme la réponse des hommes au défi des éléments.
Premier bilan : un lac d'aspect boueux
Ce n'est qu'à l'aube du 5 décembre que les insulaires prirent toute la mesure du désastre qu'ils avaient subi. Là où, hier encore, s'étendaient les terres labourables avait surgi un lac d'aspect boueux. Les maisons du Poul, lézardées pour la plupart, baignaient dans une eau saumâtre et sale. Si l'ouragan avait à peu près épargné la flottille mouillée dans le port, deux chaloupes gréées en sloop et six canots n'en étaaient pas moins perdus, emportés par les flots. Les digues, évidemment, avaient beaucoup souffert, notamment celle de Beg-ar-Ralé, rompue sur une longueur de 70 mètres. Il fallait parer au plus pressé. Mathieu Porsmoguer fit sonner le tocsin, rassembla toute la population valide et distribua les tâches.
Des champs incultivables pendant deux ou trois ans
D'abord, vider les maisons, puis assécher les terres cultivées. Le 9 décembre au soir, l'île avait enfin retrouvé un aspect plus acceptable. Néanmoins, les motifs d'inquiétude ne manquaient pas. Les opérations de drainage achevées, les terres labourables, imbibées de sel, avait pris une teinte blanche de mauvais augure. De l'avis général, les champs resteraient impropres à toute culture pendant au moins deux ou trois ans. A court terme, il y avait plus grave. La mer restait mauvaise, le vent violent, interdisant tout contact avec le continent. Sur l'île, faute d'approvisionnement, les vivres commençaient à manquer, et la famine menaçait.
La délivrance sept jours après
Le 11 décembre, pourtant, une accalmie sembla se dessiner, permettant au vapeur des Ponts et Chaussées, « Le Baliseur», de prendre la mer en direction du phare de la Vieille mais il ne put y accoster. Le lendemain, 12 décembre, «Le Hâleur», du port de Brest, parvint enfin à gagner la rade de Sein, avec à son bord 1.200 kilos de pain de munitions et de viande. Le blocus était enfin levé, au grand soulagement d'une population traumatisée par ces huit jours d'épreuve, dont l'angoissant souvenir, sur cette île pourtant fertile en drames divers, allait se transmettre de génération en génération.
Commentaires
Enregistrer un commentaire